La balade

Publié le par inconnu

La balade

J'aime aller faire les courses à pied, jusqu'au centre ville voisin. Ce matin, il fait frais et le brouillard tombe au fur et à mesure que les heures avancent. Je quitte la maison avec ma petite charrette à roulettes. Maintenant, j'ai le temps, je l'utilise régulièrement.

Je sors du "Bord de la Linière", je traverse le petit village "Là où le cheval rit" et je contourne "Sor". J'entame à présent mon tronçon favori, la traversée des marais.

Ma charrette est secouée sur le chemin blanc malgré le sol légèrement mouillé par cette brume d'hiver. Ce bruit mécanique trouble un peu ma rêverie mais heureusement, mes oreilles s'accoutument. Un voile de tulle blanchâtre enveloppe les haies et la cime des arbres. Les marais se prélassent entre les bosses de terre comme de gros serpents d'eau qui glissent lentement. Leurs bouches ouvertes vomissent l'eau de mer comme à leur habitude quand la mer est montante. Elle revient pour nourrir les huîtres et les faire grossir. Si je stoppe ma marche, que je scrute la surface, je distingue les fines bulles de respiration des mollusques. Mon chemin aussi serpente, c'est une belle allée plus blanche que grise où les flaques transpirent. Parfois je les évite, parfois elles m'invitent. Alors, comme une enfant je glisse sur la boue et macule mes souliers. Un taille-haie ronronne derrière une haute palissade. Je ne vois rien, je devine le travail du jardinier. Je souris, je suis bien.

Un marcheur me croise. « Bonjour ». Je lui répond par un sourire et un même salut. Je le dépasse, il s'arrête et revient à ma hauteur.

    • « Pourrais-je vous accompagner un moment ? »

    • « …. » Que veut-il ? Qu'attend-il de moi ? Et malgré tout, «  Pourquoi pas ? »

Et nous repartons vers le bourg. Nous marchons sans parler pendant un moment. Je n'ose le regarder. Un joli sourire a illuminé son visage quand il m'a salué. J'ai remarqué ses yeux bleus derrière de petites lunettes métalliques et la petite barbichette qui pointe à son menton. D'habitude, j'aime marcher seule mais comme il est silencieux, il ne m'empêche pas de rêver.

    • « Vous aimez marcher ? »

    • «  Oui, beaucoup. Même pour faire mes courses quand j'ai le temps. »

Et là, le dialogue est engagé, ou plutôt un monologue. Je parle. Je lui décris le paysage, lui parle des marées, des huîtres qui grossissent dans ses grands bassins-auberges. Nous humons l'air lointainement iodé. Un groupe de bernaches se posent sur une rive. Je lui explique qu'ici, les anciens disent qu'elles annoncent le froid, elles resteront l'hiver puis elles repartiront dès les premiers beaux jours du printemps.

    • « Comme moi » dit-il.

    • «  Vous n'habitez pas là ? »

- « Non, j'y passe moi aussi, l'hiver. Ce sera la première année. Je préfère les plages désertes et les balades dans la fraîcheur des chemins boueux ! » Nous échangeons un autre sourire.

Les chevaux du Père Colinas se devinent dans la brume, comme un mirage, une image de rêve, une photo pour Hamilton amateur. Deux chevaux face à face, ils posent pour la photo ? Ils se regardent, se sondent ou bien se font du charme ! En avançant nous voyons qu'ils ne sont pas seuls, il y en a un troupeau tout au bord de la mare. Les canards se déplacent en se dandinant, enfonçant leurs palmes dans la vase en marquant leur passage. Je parle des ragondins qui d'habitude traversent le chemin, viennent vers les passants et que certains nourrissent.

Il écoute sans m'interrompre. Nous quittons le chemin, débouchons sur la rue au milieu des maisons. Le super marché n'est plus loin. Je vais devoir remplir mon panier à roulettes.

- « Vous êtes une poète, vous aimez votre terre. Vous avez illuminé ma balade brumeuse. Je vais désormais visiter la région avec vos yeux admiratifs. »

Nous nous séparons, il repart en tournant les talons et reprend le chemin que nous venons de quitter. J'arrive au magasin le sourire aux lèvres.

 

Les courses finies, je reprends la route en sens inverse. En quittant la rue, le chemin blanc me tend son allée tortueuse, je débouche devant la mare. Les canards batifolent dans l'eau stagnante, les chevaux broutent dans leur mangeoire et les ragondins sont toujours absents. Ma charrette, bien chargée, est lourde. Les petites roulettes ne chantent plus sur les graviers. Elles s'enfoncent légèrement dans les flaques. Mes chaussures sont boueuses, je commence à ressentir l'humidité sur les épaules au travers de mon blouson. Et soudain, un rayon de soleil éclaire l'eau des marais. Une mouette s'envole en criant, en riant. La brume a disparu. La vie semble s'éveiller, pourtant il est midi.

Dans ce sens du retour, mon parcours me paraît différent, plus triste malgré le soleil timide. Je suis seule sur le chemin, je ne croise personne. Même les animaux me regardent sans sourire. J'entends des pas...

Non, personne. Je rêve. Le ronron du taille-haie a cessé. Je sens l'odeur des fusains fraîchement coupés et je m'éveille à nouveau. Je reviens dans l'espace temps d'aujourd'hui et maintenant. Je contourne « Sor », je traverse « Là où le cheval rit », et je rentre chez moi, au « Bord de la Linière ».

Publié dans Nouvelle

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