LA MAISON AU BORD DE LA PLAGE

Publié le par Martine Flourac

LA MAISON AU BORD DE LA PLAGE

 

LA MAISON AU BORD DE LA PLAGE



 

Thierry saisit sa veste à la patère de l’entrée, franchit le seuil sa valise à la main et ferme la porte avec violence.

Camille abasourdie, ne dit rien, reste bras pendants dans le hall, les yeux secs.

 

1

 

Voici trois mois que Thierry l’a quittée. Cette rupture a anéanti Camille qui parcourt les maisons d’hôtes à la recherche d’un refuge, pour se reposer, se reconstruire loin de son appartement.

Elle voudrait fuir ce cauchemar qui la persécute depuis son départ :

« Elle se réveille en sursaut, ses longs cheveux blonds sont trempés de sueur, elle frissonne de froid et de peur. Elle court à demi-dévêtue dans la nuit dans un parc sombre, les arbres se resserrant sur son passage au point de l’étouffer. Au loin le galop d’un cheval qui semble s’approcher et le visage d’un homme d’un certain âge aux yeux bleu acier, visage qui lui est inconnu, qui l’effraie alors que le regard respire la bonté et semble vouloir lui parler »

Toutes les nuits, ce rêve se répète, et elle se réveille le matin, épuisée.

Elle doit s’éloigner de cette ville.

 

2

 

 Cette demeure cachée au milieu de ce parc aux arbres centenaires l’a tout de suite attirée, et comme appelée avec sa façade en pierre meulière rehaussée de briquettes.

Le lieu est magnifique, cèdre, hêtre, tulipier, cornouiller, ginko biloba, châtaignier, érable, magnolia offrent une explosion de couleurs et de senteurs. 

Un chemin empierré traversant une vaste pelouse, mène à un petit lac où se reflète la nature.

La maison haute d’un étage présente de grandes ouvertures. 

L’accès se fait par un perron en fer à cheval aux marches patinées, et creusées par les nombreux passages. Deux énormes potiches posées au pied de l’escalier ‘’dégueulent’’ des géraniums lierre flamboyants.

C’est la maison idéale pour se reposer et prendre de la distance par rapport aux évènements.

Camille est ravie de son choix.

Elle est accueillie par Elisabeth la propriétaire des lieux. C’est une jeune femme énergique, brune, aux cheveux courts, aux yeux pétillants. Elle est vêtue d’un chemisier blanc sur un jean, un foulard chamarré négligemment jeté sur les épaules, une paire de tongs dorées aux pieds. Elle respire la gentillesse, lui propose de lui faire visiter la maison avant de lui montrer sa chambre.

 

3

 

ELISABETH

 

Elisabeth a toujours voulu ouvrir une maison d’hôtes et suite à la vente de sa librairie, elle a franchi le pas.

Elle souhaitait une grande demeure au milieu de la nature, avec de grands arbres, des animaux, des oiseaux et une étendue d’eau ou un ruisseau.

Lors d’une promenade dominicale, elle avait découvert cette maison cachée au fond d’un parc, elle semblait inhabitée. Elle était tombée amoureuse du lieu et le destin lui avait permis d’exaucer son vœu, la propriété était à la vente depuis deux ans. Son isolement effrayait les acheteurs.

Les pièces intérieures aux plafonds hauts sont lumineuses, les planchers Versailles absorbent le bruit des pas.

Son lieu préféré est la bibliothèque. Elle y a installé son bureau datant du collège et qui l’a toujours suivie. Il est accompagné de son fauteuil club en cuir usé.

Le meuble placé devant la fenêtre donne sur le grand cèdre, elle y passe des journées entières à écrire, à faire de la comptabilité, à régler les factures mais aussi à rêver.

Deux grands pans de murs sont couverts de livres accumulés depuis des années. Un escabeau en bois verni permet d’atteindre les niveaux supérieurs.

Elisabeth a hérité de sa mère Eléonore la passion des livres. Enfant, celle-ci lui lisait des romans d’aventures, des grands auteurs, des contes, les fables de La Fontaine….

Elisabeth a su lire très tôt, et le soir à la lumière de sa lampe frontale, cachée sous les draps, elle s’envolait vers des mondes merveilleux. C’était une petite fille espiègle et sage ouverte aux gens, et à la vie.

Son père Jacques lui a transmis ce côté généreux, et tourné vers le monde extérieur. C’était un homme affable, et prolixe. Il aimait les échanges, les repas qui se prolongeaient en discussions, et remises en question.

Cela exaspérait Eléonore, plus discrète qui se refugiait dans la lecture et évitait ces longs discours, mais ces deux-là s’adoraient.

A l’époque, ils habitaient une maison au bord de la plage.

C’était les vacances tous les jours, Elisabeth se baignait avec sa sœur Milène quel que soit le temps. Leurs rires résonnaient dans toutes les pièces. Le soir, on faisait un feu de camp sur le sable et l’on rêvait la tête dans les étoiles.

Eléonore avait hérité de cette maison au décès de son père Albert.

Sa mère étant décédée brutalement des années auparavant d’un arrêt cardiaque.

Milène et Elisabeth n’avaient pas connu leurs grands-parents mais une foule de souvenirs, d’objets insolites, d’albums photos venaient leur rappeler le passé.

C’était la maison du bonheur, des repas familiaux, des mariages, des baptêmes mais aussi des décès et surtout celui de Milène qui s’est noyée dans une baïne.

En ce jour de mars, une marée noire menace les côtes, c’est le naufrage de l’Amoco Cadiz.

On écoutait les informations sur la catastrophe et personne ne s’est aperçu de l’absence de Milène.

Suite au drame, Jacques s’est plongé de façon obsessionnelle dans le travail et s’est éloigné progressivement de sa femme et de sa fille. Sa devise est devenue : « réussir sa vie, c’est gagner beaucoup d’argent »

Malheureusement, malgré l’abondance, sa fille ne lui a pas été rendue.

Eléonore s’est réfugié dans la lecture. Elisabeth n’aura de cesse de se demander pourquoi ce jour-là, elle n’a pas accompagné Milène à la plage ? Elle a eu besoin de l’aide d’un psychologue pour dépasser son sentiment de culpabilité. La librairie et sa passion des livres lui ont permis d’atténuer la douleur et l’absence. Ses clients devenus des amis pour la plupart, la surnommaient Elisabeth « millefeuille » : la douceur de la crème, la fragilité de la pâte qui s’effrite, les mille pages des livres virevoltant dans ses mains.

Aujourd’hui, elle a retrouvé une certaine sérénité dans la création de cette maison d’hôtes. Elle rencontre des gens, venus parfois du bout du monde. Elle écoute les parcours de chacun, la vie continue.

Une belle jeune femme prénommée Camille vient d’arriver pour séjourner quelques jours. Elle semble désorientée, le regard perdu. 

Elisabeth a hâte de faire plus ample connaissance avec elle.

 

4

 

CAMILLE

 

Dans le hall, l’œil de Camille est attiré par un tableau représentant le portrait d’un homme très élégant. Il est coiffé d’un chapeau blanc, une bouche finement dessinée et un regard bleu acier.

 Ces yeux, et ce visage ressemble étrangement à la personne de son cauchemar, Camille frissonne.

Consciente du trouble de sa cliente, Elisabeth lui dit : « je vous présente mon grand-père Albert. 

Je ne l’ai pas connu, on parlait peu de lui à la maison, mais moi j’ai toujours aimé ce tableau.

Venez, je vous montre votre chambre »

La chambre est baignée de soleil. La fenêtre ouverte donne sur le parc, et derrière les grands arbres, on aperçoit le miroitement du lac.

 La pièce est rendue chaleureuse par des tons de jaune, d’ocre et de rouge carmin. Une collection de poules en porcelaine dans une alcôve, des tableaux de scènes champêtres au mur. Sous un grand miroir au cadre doré, trônant sur un guéridon, une sculpture en terre qui interpelle Camille. Elle représente une tête de femme aux yeux clairs portant des créoles, ressemblant étrangement aux œuvres de sa mère Claire.

Claire est une artiste, dont les sculptures sont reconnues dans le monde des arts. Elle voyage beaucoup et a toute l’admiration de sa fille.

Camille doit son prénom épicène à l’amour de sa mère pour Camille Claudel et en a souffert dans son enfance, avec ses cheveux courts on la prenait pour un garçon. Elle était également victime de moqueries par son nom de famille Delapoterie : Camille de la porcherie, Camille le souillon, Camille le cochon ….

 

Aujourd’hui, elle est une belle femme aux longs cheveux dorés, elle adore son prénom, elle a beaucoup de complicité avec sa mère, partage ses secrets, ses états d’âme avec elle. 

Cette sculpture l’attire, elle ne présente aucune signature ou signe distinctif aussi prend -t’elle une photo et décide de l’envoyer à sa mère.

Les jours suivants, Camille reçoit une longue lettre de Claire, qui la plonge dans un grand désarroi.

 

« Ma fille chérie,

La photo que tu m’as envoyée m’a entrainée dans un passé lointain, dans mon enfance et dans les secrets de famille.

Cette sculpture est de moi, je l’ai réalisée à l’âge de neuf, dix ans environ.

A l’époque, avec mes parents nous allions tous les ans en vacances dans une location au bord de la mer.

La maison voisine était habitée par un couple qui avait une petite fille dont je ne me rappelle plus le prénom, elle passait des jours entiers à lire, elle jouait très peu avec moi.

Les deux couples sont devenus amis et les retrouvailles étaient joyeuses chaque année.

Le monsieur de la maison était un homme adorable et j’aimais le retrouver dans son atelier. Il m’a appris à bricoler, à travailler de mes mains et je lui ai offert cette sculpture.

Puis brutalement, nous ne sommes plus venus au bord de la mer.

Je n’ai appris la vérité que beaucoup plus tard à l’âge adulte de la bouche de ma mère.

Ta grand-mère, tombée amoureuse de cet homme a vécu avec lui une liaison pendant trois ans.

Un jour, son épouse a découvert leur relation et les couples se sont déchirés.

L’histoire est devenue un secret de famille. 

Mais pourquoi cette sculpture se trouve-t-elle dans cette chambre d’hôtes ? c’est étrange.

Je te joins une photo de cet homme, ma mère la gardait cachée dans son portefeuille, il s’appelait Albert.

Je t’embrasse ma fille, repose- toi bien

Ta maman qui t’aime »

 

Camille regarde le visage de l’homme, c’est le portrait qui trône dans le hall.

 

5

 

Elle se précipite dans le jardin, rejoindre Elisabeth qui se repose sur un banc pour lui montrer la photo.

Celle-ci est étonnée de reconnaître le visage de son grand-père Albert. 

Elle entraine Camille dans la bibliothèque et sort des albums photos.

« Ma mère Eléonore ne me parlait jamais de mes grands-parents, je ne me souviens pas d’eux.

Au décès de ma sœur Milène, mes parents ont vendu la maison sur la plage, et ce qu’elle contenait.

Maman n’a gardé que ce tableau, la sculpture, divers petits objets et des albums photos. Cette maison lourde de souffrance pour mes parents et moi était devenue un sujet tabou.

J’ai appris à connaître mon grand-père en feuilletant les albums photo de la maison et à travers ce portrait.

Son port de tête est magnifique, son regard bleu acier vous transperce et semble lire vos pensées.

Sur une photo de lui au pensionnat Saint Vincent de Chartres, j’ai découvert un enfant espiègle et bagarreur. Ses jambes maigres sortant de bottines sales et éculées sont couvertes de coups, les genoux écorchés. Le sarreau gris taché d’encre est déchiré à la manche mais un sourire moqueur éclaire son visage.

Lorsque je montre ces photos à ma mère, elle détourne la conversation ou me répond : « c’était un homme doux et un père merveilleux »

A l’âge adulte, il semble assagi. Beaucoup de photos prises au bord de la plage le montre jouant avec les enfants, marchant seul dans l’eau, ou lisant une revue sous un parasol. Il a l’air rêveur, ou absent.

Il y a aussi des photos de lui prises dans son atelier, rabot à la main, restaurant des meubles ou réparant les outils de jardin.

Sur l’une d’elle, posée sur l’établi apparaît la sculpture en terre faite par Claire, la maman de Camille lorsqu’elle était enfant.

Les photos défilent et les deux femmes découvrent avec stupeur que leurs grands-parents respectifs se sont connus, côtoyés pendant des années.

La grand-mère de Camille et le grand-père d’Elisabeth se sont aimés.

Les deux familles qui ont été rapprochées par les anciens puis séparées par cet amour, se retrouvent aujourd’hui réunies par le plus grand des hasards par leurs petites filles respectives.

Maintenant, Camille réalise pourquoi cette demeure l’attirait et lui causait un tel trouble.

Elles tombent toutes les deux dans les bras de l’autre. Elles ont encore plein de choses à découvrir, à se dire et à raconter à leurs mères.

Dans le hall, grand-père Albert sourit.

Le destin ferme une boucle pour ouvrir un autre chemin.

 

6

« Chez soi »

C’est là où tu sens que tu as un attachement, pas seulement aux gens, mais aussi au pays, du fond du cœur.



 

Martine Flourac

 

 

 

Publié dans Nouvelle

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